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“Run”, épopée hallucinée

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Run
Run de Philippe Lacôte. Avec Abdoul Karim Konaté, Isaach de Bankolé, Reine Sali Coulibaly, Alexandre Desane, Adelaïde Ouattara. 1h42. Sortie le 17 décembre.

Il marche. Il vise. Il énonce une phrase sibylline où il est question d’un éléphant, il tire. Il court.

Il s’appelle comme ça: Run. Il vient de tuer le premier ministre de Côte d’Ivoire.

C’est le début du film, mais presque la fin de l’histoire. Quelle histoire ? Celle du garçon de la campagne venu dans la grande ville avec ce surnom. Celle de ce pays vaste et complexe, qu’une guerre civile a ravagé. Run n’est pas un personnage, c’est un héro, au sens de l’épopée. Et c’est bien ainsi que le filme Philippe Lacôte, que l’incarne l’impressionnant Abdoul Karim Konaté. Run, le film, n’est pas non plus un récit ni une chronique : c’est une traversée hallucinée dans la réalité et l’imaginaire d’un pays travaillé par des forces archaïques et des tensions très modernes. Très vite le premier long métrage du réalisateur ivoirien ouvre grandes les portes d’une circulation entre passé et présent, réalité et surnaturel, description et incantation.

Run aura plusieurs vies, sans les avoir choisies. Comme dans les romans picaresques il est balloté au fil de rencontres qui décident de son sort, jusqu’à ce qu’à nouveau, il se mette à courir. Membre novice d’une société secrète, assistant d’une ogresse rieuse, petite frappe membre des Jeunes Patriotes (la milice de l’ex-président Gbagbo), nouveau riche arrogant, combattant révolutionnaire, il passe sans le vouloir d’une situation à une autre, et c’est tout un paysage, à la fois mental, politique et très concret qui devient sensible.

Lacôte filme remarquablement les corps et les visages, et tout aussi attentivement les paysages. Dans la forêt tropicale comme dans la luxuriance de la ville, la présence des lieux, à l’occasion aussi des rituels et des chansons, engendre une matière très riche, très physique, qui confère à pratiquement chaque séquence une puissance singulière. Cette force est aussi ce qui fait que la construction non linéaire du film rend plus apte à percevoir, de manière intuitive, une réalité compliquée, et dont il est exclu de prétendre donner toutes les clés.

Créatif, sensuel, étrange, Run est donc également une manière de prendre en charge une actualité toujours à vif. Jailli sans crier gare (il a été montré à Cannes sans attirer grande attention), c’est, ou plutôt ce devrait être une manière d’événement. Il y a quelque chose de scandaleux dans la quasi-indifférence qui accompagne sa sortie, noyée dans la déferlante de films qui s’embouteillent plus que jamais en cette fin d’année.

Sans compter que la large reconnaissance, ô combien méritée, de Timbuktu une semaine plus tôt vient encore aggraver ce peu d’attention – personne ne le dira comme ça, mais on voit bien que un film africain ça va, deux de suite faudrait quand même pas exagérer…  Au milieu de difficultés immenses, il émerge pourtant de nouveaux signes prometteurs du cinéma africain (et il n’est pas indifférent que Lacôte soit aussi le producteur d’un autre film remarquable, Le Djassa a pris feu de Lonesome Solo).  Run en offre un signal particulièrement clair, qui appelle une et même des suites.

 


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